Point de vue
Par Pr. Jamal Eddine NAJI
Les animaux émigrent, périodiquement, selon les saisons et dépendamment de ce que leur offre la nature en nourritures. Les hommes émigrent généralement pour immigrer, pour s’installer ailleurs, pour changer de vie, ultime objectif.
L’actualité, en ces premières décennies du siècle ayant suivi celui des deux guerres mondiales, est dominée par l’immigration de plus en plus décriée et combattue, et aussi par l’émigration en ascension continue par le trafic des humains, les bouleversements climatiques, les conflits et guerres, les faillites des régimes dictatoriaux, les supercheries de l’ère numérique qui promettent l’eldorado (via les réseaux sociaux,« a- sociaux » plutôt !).
Bref, fuir son lieu de vie d’origine est devenu un instinct, plus persistant, presque, que chez les oiseaux migrateurs. Émigrer est devenu, pour plusieurs peuples et communautés, la seule issue vitale possible pour survivre afin de « vivre dignement », espère l’exilé, le réfugié, le voyageur clandestin (« Harrag ») … De tous les âges… Les enfants (préadolescents et adolescents) étant les dernières hordes qui prennent d’assaut les barges, les murs et barbelés dressés contre ces fuyards désespérés. Une aubaine pour trafiquants, gangs criminels, esclavagistes, proxénètes, terroristes et même les ambitieux politiques qui piaillent aux portes du pouvoir, sur les frontières que ces hordes de nouveaux « barbares » envahissent comme naufragés et témoins à charge contre la mondialisation de la misère humaine.
Sans l’immigration et sans ces flux « tragi-bibliques » de l’émigration, quel fond de commerce servirait mieux les desseins et ambitions extrémistes, xénophobes, racistes, suprématistes, nationalistes identitaires, fascistes (selon les cas) d’un Donald Trump (USA), d’un Maxime Bernier (Canada), d’un Amit Shah (Inde, allié de poids et ministre de Narendra Modi), d’une Giorgia Meloni (Italie), d’un Nigel Faraje (UK), d’un Gert Wilders (Pays- Bas), d’un Björn Höcke (Allemagne), d’un Tom Van Grieken (Belgique), d’un Santiago Abascal (Espagne), d’un André Ventura (Portugal), d’une Marine Lepen (France), et plus proche de nous, d’un Kaïs Saïd (Tunisie)… ?
Le Maroc, pays d’émigration et d’immigration
Le Maroc, pays ouvert à toutes les émigrations depuis des siècles, venant du Nord, du Sud et de l’Est, a connu au XXème siècle aussi bien des émigrations forcées, quasi-déportations, par l’occupant français surtout, pour servir des guerres qui ne sont pas les nôtres, pour développer, bâtir et enrichir des pays qui nous sont étrangers. Nos compatriotes d’hier et d’avant-hier, étaient enrôlés depuis nos montagnes (le Rif, nos trois Atlas), nos plateaux, comme de nos plaines atlantiques. Asservis dans les tranchées des guerres, dans les mines, sur les chantiers de construction de routes, de barrages, de voies ferrées, de logements etc. Plus de trois générations de nos compatriotes ont servi, malgré eux, ces desseins d’ailleurs et, en cette année 2024, il nous faut ajouter à notre recensement national qui nous compte comme peuple de 37 millions de Marocains et Marocaines, un total d’au moins 5 millions d’immigrés marocains vivant – ou vivotant – ailleurs que chez nous.
Pays d’émigration, massivement organisée/imposée durant la période coloniale et les premières années de la période post-coloniale, le Maroc devient maintenant aussi bien un pays d’émigration (plus illégale et mortifère que légale, choisie et conventionnée), qu’un pays d’immigration attirant, généralement comme corridor de passage vers l’autre rive de la Méditerranée, de nouvelles proies de la mondialisation de la misère, des conflits et guerres, des changements et bouleversements du climat et des éléments de la nature essentiels à la vie des espèces et aux équilibres existentiels de la planète !
Ni l’architecture compliquée, et visiblement surannée, du Droit international, avec ses institutions, et des relations internationales, avec leurs tensions cycliques qui minent leurs us et coutumes de coexistence, de paix, de respect de la dignité humaine, ne suffisent plus à gouverner/réguler ce nouveau phénomène mondial de l’émigration. L’émigration est désormais un instinct qui se généralise, partout chez les humains, en tout cas chez la majorité des pauvres et des vulnérables. En raison de la pauvreté et des multiples vulnérabilités qui assaillent l’Homme du XXIème siècle, l’émigrant deviendra, dans un proche avenir (?), un « émigrant de souche », majoritaire dans nombre de pays… Une nouvelle espèce d’habitants de la Terre !
Pauvreté africaine et sexiste
Selon les organismes qui suivent cette mutation universelle, comme la Banque Mondiale ou l’organisation onusienne internationale pour les migrations (OIM), aujourd’hui, quelque 700 millions de personnes dans le monde vivent dans l’extrême pauvreté, avec moins de 2,15 dollars par jour (moins de 22 Dhs/jour ou moins de 700 Dhs par mois)). L’extrême pauvreté reste concentrée dans certaines parties de l’Afrique subsaharienne, dans les régions fragiles ou touchées par des conflits et dans les zones rurales En fait, près de la moitié des humains vit avec moins de 6,85 dollars par jour (moins de 70 Dhs) et un humain sur quatre, soit 2 milliards d’hommes et de femmes vivent avec moins de 3,65 dollars par jour (moins de 37 Dhs), selon Oxfam (confédération d’une vingtaine d’organisations caritatives indépendantes à travers 66 pays, créée en 1942 en Angleterre). Cette crédible ONG précise qu’au-delà de l’approche monétaire, être pauvre c’est aussi ne pas avoir accès à l’éducation, à l’eau potable et à l’électricité… Ce qui peut être traduit par un indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) qui nous révèle alors que dans 109 pays 1,3 milliard de personnes, soit plus d’une personne sur cinq, vivent dans une pauvreté multidimensionnelle aiguë. Parmi elles, on compte 644 millions d’enfants.
Dans cette réalité mondiale, relevons celle de notre continent, horizon stratégique qui nous concerne par ses flux migratoires : plus de 60% des pauvres de la planète vivent en Afrique sub-Saharienne… Et si on prend en compte la pauvreté multidimensionnelle, ce sont en réalité 556 millions de personnes pauvres qui vivent en Afrique subsaharienne. Soit le tiers de la population africaine. Une pauvreté « sexiste » (plus de 60% des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont des femmes) et qui frappe massivement les enfants (un enfant sur trois souffre de pauvreté multidimensionnelle, contre un adulte sur six).
Tenaillé, géographiquement et humainement, entre migration et émigration, le Maroc confronte ce grand défi lancé à sa longue marche pour le développement humain, comme étape africaine pour l’émigration menant à l’immigration ailleurs, « émigration de souche » demain !
L’article Émigrant « de souche », genre humain du XXIème siècle est apparu en premier sur ALBAYANE.