Hinde Haffou, Docteure en Économie et Gestion
Propos recueillis par Kaoutar Khennach
Dans le contexte de l’évolution économique du Maroc, les régimes de change occupent une place stratégique, influençant à la fois la résilience du pays face aux chocs externes et sa compétitivité sur les marchés internationaux. Afin de mieux comprendre les enjeux liés à cette transition, nous avons recueilli les éclairages de Hinde Haffou, Docteure en Économie et Gestion, et auteure de l’ouvrage « Régimes de changes et économies émergentes : analyse et perspectives à travers le cas marocain ». Dans cette interview, elle nous livre une analyse approfondie des perspectives futures des régimes de change au Maroc, des défis auxquels le pays a dû faire face lors de sa transition vers plus de flexibilité, ainsi que des répercussions de ces changements sur la dynamique économique nationale.
Comment votre ouvrage analyse-t-il les impacts des différents régimes de change sur l’économie marocaine ?
Mon ouvrage examine en profondeur les effets des différents régimes de change sur l’économie marocaine, en combinant théorie économique et analyse empirique. Il explore les répercussions de ces régimes sur des variables macroéconomiques essentielles comme la croissance économique, l’inflation, la compétitivité à l’export, et la gestion des chocs externes.
L’un des points majeurs de l’analyse est le lien entre le choix du régime de change et la performance économique à long terme. Avant l’adoption du régime flexible en 2017, le Maroc avait connu un régime de change fixe, qui a contribué à la stabilité nominale et à la croissance de certains secteurs. Cependant, ce régime a limité la capacité de l’économie à s’adapter rapidement aux chocs externes, notamment les fluctuations des prix des matières premières. L’introduction du régime flexible a offert au Maroc une plus grande souplesse pour ajuster le taux de change et ainsi améliorer sa compétitivité à l’export, mais l’ouvrage montre que, malgré cette flexibilité, la croissance économique a été limitée par des contraintes structurelles internes qui ralentissent l’adaptation du pays aux nouvelles conditions économiques mondiales.
Quels obstacles majeurs ont marqué la transition du Maroc vers un régime de change flexible ?
La transition du Maroc vers un régime de change flexible, amorcée en 2017, a été marquée par plusieurs défis importants, exacerbés par des événements extérieurs comme la crise du COVID-19 et l’augmentation de l’inflation. L’un des principaux défis a été de garantir une transition fluide tout en préservant la stabilité économique du pays. La flexibilité accrue du dirham a rendu ce dernier plus sensible aux fluctuations des marchés mondiaux, ce qui a nécessité une gestion rigoureuse des réserves de change pour éviter une dépréciation excessive, surtout dans un contexte de forte dépendance aux importations énergétiques.
La crise sanitaire a aggravé cette situation en réduisant significativement les recettes touristiques et les transferts de fonds de la diaspora, des sources cruciales de devises étrangères. L’inflation, alimentée par la hausse des coûts des biens importés et les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, a constitué un défi supplémentaire. Bien que la flexibilité du taux de change ait permis d’amortir certains chocs externes, elle a aussi amplifié les pressions inflationnistes internes, ce qui a poussé Bank Al-Maghrib à adopter une politique monétaire plus restrictive pour contrôler l’inflation.
L’incertitude liée aux fluctuations des taux de change a aussi alimenté des préoccupations parmi les entreprises et les investisseurs, qui ont dû s’adapter à des conditions économiques plus instables. La pandémie a mis en lumière les risques d’une dépréciation trop rapide du dirham, ce qui a nécessité une gestion attentive de la communication des autorités monétaires pour maintenir la confiance dans le système financier.
Quel est votre avis sur les résultats économiques du Maroc depuis l’adoption du régime de change flexible en 2017 ?
Depuis l’adoption du régime de change flexible en 2017, les performances économiques du Maroc ont montré une plus grande capacité à absorber les chocs extérieurs, comme en témoigne la stabilité du dirham face à la crise du COVID-19. Néanmoins, cette flexibilité a aussi eu des effets déstabilisants, notamment en ce qui concerne l’inflation. Si la flexibilité a permis de mieux gérer certains chocs externes, elle a aussi entraîné une hausse des prix internes, en particulier en raison des hausses des coûts d’importation, notamment ceux de l’énergie.
Du côté de la compétitivité à l’export, les effets ont été globalement positifs. Le dirham plus souple a permis d’améliorer la compétitivité des produits marocains dans des secteurs comme le textile, l’agriculture, et plus récemment l’automobile. Cependant, cet effet reste limité, car l’économie marocaine n’est pas encore suffisamment diversifiée pour tirer pleinement parti des avantages d’un taux de change flexible.
En ce qui concerne la croissance économique, le bilan est plus nuancé. Si la flexibilité du taux de change a permis au Maroc de mieux résister aux chocs externes, la croissance économique demeure limitée par des facteurs structurels internes, tels que la lenteur des réformes économiques et la dépendance persistante à des secteurs à faible valeur ajoutée. Ainsi, bien que la flexibilité ait ouvert de nouvelles opportunités, ses effets positifs sur la croissance économique restent relativement modestes, d’autant plus que des réformes structurelles profondes sont nécessaires.
Quelles conséquences les régimes de change peuvent-ils avoir à l’avenir pour le Maroc et les autres économies émergentes ?
Les régimes de change auront un impact important sur le Maroc et d’autres économies émergentes, particulièrement en ce qui concerne la gestion des flux de capitaux et la compétitivité internationale. Comme le souligne mon ouvrage, la flexibilité du taux de change pourrait offrir aux économies émergentes une plus grande capacité à ajuster leurs balances commerciales et à se protéger contre les fluctuations des marchés mondiaux. Cependant, cette flexibilité n’est bénéfique que si elle est accompagnée d’une gestion macroéconomique rigoureuse pour éviter les crises de change ou les attaques spéculatives.
Pour le Maroc, le succès de la transition vers un régime de change flexible dépendra de sa capacité à renforcer ses institutions économiques et à mener des réformes structurelles profondes. Celles-ci permettront de tirer pleinement parti des avantages d’un taux de change flexible, tout en maintenant la stabilité macroéconomique. Il est crucial que cette transition soit réalisée de manière progressive et contrôlée afin d’éviter des déséquilibres économiques majeurs. Plus largement, pour les économies émergentes, bien que la flexibilité offre de nombreuses opportunités, elle nécessite une gestion prudente et une coordination étroite des politiques économiques pour maximiser ses avantages tout en minimisant ses risques.
Quelles sont vos perspectives concernant l’évolution future des régimes de change au Maroc ?
L’évolution des régimes de change au Maroc continuera de suivre une trajectoire graduelle, visant à accroître la flexibilité du taux de change. Cette transition, lancée en 2017, s’inscrit dans un cadre stratégique à long terme qui cherche à renforcer la résilience de l’économie marocaine face aux chocs externes, notamment les fluctuations des prix des matières premières et les mouvements imprévisibles des flux de capitaux. Toutefois, à court terme, il sera crucial pour le Maroc d’adopter une approche mesurée afin d’éviter une volatilité excessive du dirham, tout en consolidant ses fondamentaux économiques, tels que la diversification des exportations et la gestion de la dette extérieure. Par ailleurs, l’inflation, qui représente un défi majeur depuis ces dernières années, devra également être prise en compte pour que cette évolution se fasse dans de bonnes conditions.
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