Libre Tribune : Conséquences de la crise de l’élevage au Maroc, problématique et défis à relever

Par El Mostapha BAHRI, Consultant Economiste Des sècheresses récurrentes depuis six ans, des prix des aliments de bétail qui ne cessent d’augmenter, les retombées de la pandémie COVID 19, les prix des énergies et leur impact sur les coûts de production et les modes standardisés d’intervention de l’administration pour l’appui de ce secteur, sont autant d’éléments […] The post Libre Tribune : Conséquences de la crise de l’élevage au Maroc, problématique et défis à relever appeared first on La Nouvelle Tribune.

Libre Tribune : Conséquences de la crise de l’élevage au Maroc, problématique et défis à relever
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Par El Mostapha BAHRI, Consultant Economiste Des sècheresses récurrentes depuis six ans, des prix des aliments de bétail qui ne cessent d’augmenter, les retombées de la pandémie COVID 19, les prix des énergies et leur impact sur les coûts de production et les modes standardisés d’intervention de l’administration pour l’appui de ce secteur, sont autant d’éléments conjugués à d’autres qui sont derrière la cherté des viandes rouges. D’ailleurs, le président de l’Association nationale des producteurs de viandes rouges, a tiré la sonnette d’alarme sur cette situation qui pourrait compromettre l’avenir de cette activité[1]. C’est dans ce cadre que le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, a tenu le mardi 6 août deux réunions de travail, avec les interprofessions de la filière viandes rouges et de la filière lait. L’objectif était de discuter des mesures nécessaires pour maintenir l’équilibre de ces filières et renforcer la souveraineté alimentaire dans un contexte difficile de sécheresse[2]. A l’issue de ces rencontres, les parties ont convenu d’un certain nombre de mesures pour sauvegarder les acquis liés au développement de ces deux filières, notamment la poursuite de l’appui à l’aliment de bétail au profit des éleveurs des bovins et ovins et des aliments composés d’engraissement, l’appui à l’importation des aliments destinés à l’alimentation animale et la préparation d’une loi sur l’élevage. Il s’agit, en outre, du développement des cultures fourragères résilientes, notamment le sorgho, de la réglementation de l’insémination artificielle, de l’importation et la vente des semences, du développement de la production de races mixtes plus productives, de la protection des femelles ovines et bovines ainsi que de la mise en place d’un cadre réglementaire pour les unités d’engraissement des bovins et ovins[3]. De la lecture de ces mesures, tout prête à rassurer et les éleveurs et les consommateurs. Néanmoins, la mise en œuvre de ces mesures constituent la vraie problématique. En effet, la plupart des programmes mis en place par les différents gouvernements n’ont profité qu’à une catégorie de bénéficiaires. Ce sont toujours les mêmes grands éleveurs et/ou agriculteurs, qui bénéficient des soutiens[4] alors que les petits restent à la marge et reçoivent des miettes et dans la plupart des cas, ils n’obtiennent aucun soutien ; sachant que c’est l’agriculture traditionnelle qui fait vivre la majorité de la population rurale et intéresse à peu près 80% des terres cultivées. Les conséquences de ce type de soutien, qui n’est jamais parvenu au maillon le plus faible de la chaine, à savoir le petit éleveur, a entrainé la réduction du cheptel national en vaches laitières de 40%, selon un spécialiste du secteur[5] ; d’autant plus que les éleveurs de vaches laitières possédant entre 2 et 10 vaches, se sont trouvés dans l’obligation de vendre leurs animaux. Seules les grandes structures, bien structurées, ont résisté à cette situation. Ce dualisme qui caractérise l’agriculture marocaine et partant l’élevage, a entrainé une grande disparité économique et sociale. Il a contribué à l’accentuation des inégalités entre les différentes régions du pays, ainsi qu’entre les petits agriculteurs et les grands. Les conséquences de cette situation sont la consécration d’une agriculture et d’un élevage à deux vitesses, avec des impacts significatifs sur le développement économique, social et territorial du pays, notamment au niveau des petits agriculteurs et éleveurs. Au Maroc, tous les agriculteurs s’adonnent parallèlement à l’agriculture, à l’élevage d’un troupeau de moutons qu’ils entretiennent pendant les périodes creuses entre les saisons. Ces troupeaux servent comme une bourse en cas de besoin de liquidité, les agriculteurs vendent un ou deux moutons pour disposer rapidement d’agent liquide. Par ailleurs, les fédérations des éleveurs et les associations professionnelles qui devaient en principe, jouer un rôle important dans le développement du secteur de l’élevage, défendent les intérêts d’une catégorie d’éleveurs et les petits semblent ne pas constituer une de leurs préoccupations, vu leur absence de toutes les réunions officielles. Personne n’est à l’écoute des doléances des petits agriculteurs et éleveurs, qui sont déconnectés et sous informés, voire nullement informés. Même, les fédérations et les associations professionnelles qui assistent aux réunions officielles connaissent de vrais problèmes et plusieurs limites restreignent leur action de leur efficacité. Il s’agit de la faiblesse de leurs capacités organisationnelles, des limites de leurs ressources financières, de la faible coordination avec les autorités gouvernementales, de leur accès limité à la formation et à l’information et à la faible participation de ses membres aux réunions. Face à la cherté des prix des viandes, certains économistes ont appelé à « soutenir les programmes de sensibilisation destinés aux consommateurs sur l’importance de suivre un régime alimentaire équilibré et diversifié, y compris des alternatives aux protéines animales[6]. » Ils ont par ailleurs, proposé un « plan d’action visant à améliorer la productivité nationale de la viande rouge, à utiliser rationnellement les ressources naturelles, à stabiliser les prix, et à contribuer à la réalisation de la souveraineté alimentaire’’. La problématique, reste également la mise en œuvre de ces recommandations. A rappeler dans ce cadre, que les grandes lignes du Plan Maroc Vert s’articulent autour de plusieurs idées consacrant le fait que l’agriculture doit être le principal moteur de croissance de l’économie nationale, avec des impacts colossaux en termes de croissance du PIB, de création d’emplois, d’exportation et de lutte contre la pauvreté. Si au niveau du PIB agricole et des exportations le résultat est positif, il n’en demeure pas moins que s’agissant de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté, tous les chiffres confirment une situation critique. En effet, en ce qui concerne le PIB, le rapport de BAM[7] a indiqué qu’après le lancement du Plan Maroc vert, l’activité agricole a affiché une nette amélioration, avoisinant une progression moyenne annuelle de 7,5% entre 2008 et 2017, largement supérieure à celle du PIB global qui n’a progressé que de 3,8%. De même et pour ce qui est des exportations agricoles, ces dernières ont atteint durant l’année 2019[8] une valeur de près de 40 milliards de dirhams, soit 2,8 fois la valeur enregistrée durant l’année 2009 (14,2 milliards de dirhams). En terme de volume, les exportations agricoles marocaines ont atteint pendant l’année 2019 environ 2,3 millions de tonnes, enregistrant ainsi une croissance de l’ordre de 64% par rapport à l’année 2009 (1,4 million de tonnes). Néanmoins, et concernant l’emploi, la même instance (BAM, sus-citée) a dressé un constat sans appel sur le marché du travail au Maroc. Les pertes massives d’emplois enregistrées ces dernières années dans l’agriculture (entre 2018 et 2023) ont atteint 816.000 emplois. Ces pertes ont surtout profité à des activités tertiaires à faible productivité, contrairement à de nombreux pays où le repli de l’emploi agricole a bénéficié au secteur secondaire. Même constat a été relevé en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. En effet, le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a révélé dans une note publiée, en octobre 2022, qu’environ 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions) sous les effets combinés de la crise sanitaire liée au covid-19 et de l’inflation. Près de 45% de cette détérioration de la pauvreté et de la vulnérabilité est due à l’effet de la pandémie et 55% à l’effet de la hausse des prix à la consommation. Près de sept années de progrès vers l’élimination de la pauvreté et de la vulnérabilité ont été perdues, note la même source. En 2022, le Maroc se retrouve avec le niveau de la pauvreté et de la vulnérabilité de 2014[9]. Enfin, l’une des idées de MAROC Vert était de consacrer le fait que l’agriculture doit être pour tous, sans exclusive au travers d’une stratégie différenciée adaptée à chaque type d’acteurs, rompant avec la conception classique distinguant entre agriculture moderne et agriculture sociale et prenant en considération la diversité des acteurs et leurs contraintes intrinsèques et socio-économiques. Est-ce c’est le cas après plus de 15 ans de mise en œuvre de cette stratégie sectorielle agricole ? En conclusion, la situation actuelle du secteur de l’élevage au Maroc, exacerbée par des défis climatiques, économiques et sanitaires, met en lumière les limites des politiques publiques mises en place pour soutenir ce secteur vital. Bien que plusieurs mesures aient été proposées pour stabiliser les filières de viandes rouges et de lait, leur mise en œuvre reste problématique, en particulier pour les petits éleveurs qui continuent de se trouver en marge des soutiens apportés. Le dualisme persistant entre grande et petite agriculture creuse davantage les inégalités économiques et sociales, compromettant ainsi le développement équitable du secteur et propageant davantage la pauvreté dans le milieu rural avec toutes les conséquences sur l’exode rural. La réussite des stratégies futures dépendra de la capacité à intégrer tous les acteurs du secteur, à renforcer les mécanismes de gouvernance des fédérations, des associations professionnelles, des coopératives agricoles et des associations des petits agriculteurs et éleveurs et à assurer une distribution plus équitable des ressources et des soutiens. De plus, des réajustements du Plan Maroc Vert semble nécessaire pour ajuster les approches et répondre aux réalités actuelles, caractérisées par les effets des changements climatiques. Il est essentiel de promouvoir une agriculture inclusive et durable, capable de garantir la souveraineté alimentaire tout en réduisant les disparités régionales et sociales et préservant le pouvoir d’achat des consommateurs, qui se détériore de jour en jour. C’est ainsi que l’agriculture marocaine pourra véritablement devenir un moteur de croissance pour l’ensemble des parties prenantes. [1] Le 360 du 12/07/2024. [2] https://www.mapexpress.ma/ [3] https://lematin.ma/ [4] La Nouvelle Tribune du 11/08/2024. [5] Echange avec un vétérinaire. [6] La Ligue des Économistes Istiqlaliens, journal électronique Rue 20, du 4 août 2024, [7] https://fr.le360.ma/, du 30/07/2024. [8] https://www.agriculture.gov.ma/ [9] https://lematin.ma/, du 13 octobre 20222. The post Libre Tribune : Conséquences de la crise de l’élevage au Maroc, problématique et défis à relever appeared first on La Nouvelle Tribune.