Par El Mostapha BAHRI, Economiste
Une réunion a été tenue le lundi 14 octobre 2024, avec des responsables des ministères de l’Agriculture, de l’Intérieur, de l’Économie et des Finances, du Commerce et de l’Industrie, de l’Office national des céréales et des légumineuses ainsi que des représentants de la Fédération nationale des propriétaires de boulangeries et de pâtisseries. L’objet a porté sur l’organisation de la profession de la boulangerie et de la pâtisserie, sur le programme contractuel entre le gouvernement et les propriétaires des boulangeries ainsi que sur les moyens à mettre en œuvre pour mettre fin aux boulangeries informelles, considérées par les professionnels comme une « concurrence déloyale »[1].
La boulangerie est une activité qui a une particularité tant au niveau du nombre d’intervenants dans la profession que des problèmes vécus. En effet, la nature du produit est particulière, du fait qu’elle concerne le pain, « symbole de la nourriture au Maroc ». En plus c’est une activité caractérisée par la multiplicité des producteurs de ce produit. Cette activité reste presque sans barrière à l’entrée. Elle englobe les boulangeries les plus modernes, tant au niveau des équipements que du personnel qualifié, installées dans certains quartiers à fort pouvoir d’achat, au niveau desquelles c’est la qualité qui prime. Ces boulangeries proposent différentes catégories de pains (pains spéciaux, baguettes, pain complet, pain multigrains, pains aux céréales, pain plat, pain au levain, etc.). La question des prix ne se posent pas dans ces boulangeries modernes. Viennent ensuite les boulangeries, dont les équipements sont bons, installées dans des quartiers moyens plus et ou la qualité est recherchée, mais avec un prix modéré. Il y a également les fours traditionnels dans des quartiers populaires, qui proposent des pains à bon marché, (à base de farine blanche, mélangée parfois avec de la semoule d’orge ou de la farine de blé dur, dont le prix oscille entre 0,5 et 1,5 dh, en fonction du poids). Plusieurs de ces boulangeries proposent également des viennoises et des brioches à des prix à la portée. Certains producteurs de pains exploitent des locaux équipés de fours à gaz (pour le pain de farine blanche et/ou de farine de blé dur) qui approvisionnent généralement les commerces de certaines zones non équipées de boulangeries ou de nouveaux quartiers en chantiers. Enfin, il y a des femmes au foyer qui préparent de petites quantités de pains (fait maison) ou des gâteaux traditionnels (cornes de gazelle, briouates, etc.), qu’elles commercialisent elles-mêmes souvent dans des espaces dédiés à ce type de produits, ou encore sous-traitent avec des boulangeries.
Vu cette multiplicité d’intervenants, les problèmes sont nombreux, complexes et spécifiques à chaque catégorie de producteurs de pains. Ces activités, qui assurent des dizaines de milliers d’emplois, souffrent de nombreuses contraintes qui affectent leur organisation. Néanmoins, la panification continue sous ces différents angles et le marché ne connait pas de problèmes d’approvisionnement.
Selon les professionnels du secteur, le prix d’un pain ou d’une baguette fixé par le gouvernement à 1,20 dh depuis 2004, pose beaucoup de problèmes pour réhabiliter les unités de production et augmenter leurs rendements en raison de la hausse croissante du coût de production. Cette situation affecte négativement les équilibres financiers de la majorité des unités qui connaissent des difficultés diverses et variées[2].
A souligner que dans une déclaration à la MAP, le président de la Fédération nationale de la boulangerie et pâtisserie du Maroc (FNBPM), Lhoucine Azaz, a soulevé la question des conséquences de la pandémie qui a beaucoup affecté le secteur. Ce dernier (secteur de la boulangerie) a enregistré une baisse des ventes liée aux restrictions préventives (interdiction des fêtes, regroupements familiaux, conférences et festivals). Il a ajouté par ailleurs, que cette situation a contraint un grand nombre de professionnels à cesser provisoirement leurs activités[3].
Azaz a rappelé par ailleurs, selon la même source, que le ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime a élaboré une étude stratégique pour diagnostiquer la situation réelle du secteur des boulangeries et de la confiserie, en partenariat avec la FNBPM, et sur la base de cette étude, les ministères de tutelle, (Intérieur, ministère du Commerce et de l’industrie, Agriculture) ont proposé un programme contractuel pour la mise à niveau du secteur, l’amélioration de la rentabilité et la situation des propriétaires et des employés.
A rappeler dans ce cadre que les boulangeries font face à d’autres défis et contraintes, dont les principaux sont les suivants :
Augmentation des coûts des matières premières : les boulangeries sont fortement touchées par la hausse des prix des matières premières, notamment la farine, le sucre, et le beurre. Les fluctuations des prix de ces produits de base, souvent importés, rendent difficile le maintien de la rentabilité tout en garantissant des prix compétitifs pour les consommateurs ;
Réglementation et concurrence : de nombreuses boulangeries notamment les fours traditionnels et autres intervenants, opèrent sans respecter les normes de qualité et d’hygiène et du droit de travail, ce qui crée une concurrence déloyale pour les établissements conformes ;
Qualité et standardisation des produits : l’absence de standardisation des produits et la qualité parfois inégale entre boulangeries impactent les prix et par conséquent la satisfaction des consommateurs ;
Dépendance à l’électricité, au gaz et au bois : la production de pain et autres produits de la boulangerie nécessite une consommation élevée d’énergie, rendant les boulangeries vulnérables aux hausses de coûts de l’électricité, du gaz et du bois. Cela affecte particulièrement les petites boulangeries, spécialisées dans le pain seulement, moins capables d’absorber ces coûts croissants ;
Faible valorisation des ressources humaines : le personnel dans les boulangeries est souvent peu formé, mal rémunéré et avec des conditions de travail parfois difficiles. Ce manque de valorisation des ressources humaines entraîne un turnover élevé, affectant la continuité et la qualité du service offert.
Insuffisance des financements et soutien public : les petites boulangeries, qui constituent une grande partie du secteur, ont souvent du mal à accéder aux financements pour moderniser leurs équipements ou pour se conformer aux normes sanitaires. Le soutien public reste limité, bien que le secteur joue un rôle clé dans l’emploi et l’économie locale.
Tous ces problématiques mettent en lumière les défis auxquels sont confrontées les boulangeries au Maroc et indiquent la nécessité de solutions structurelles pour améliorer leur compétitivité, leur durabilité et leur capacité à répondre aux attentes des consommateurs.
En conclusion, le secteur de la boulangerie au Maroc fait face à des contraintes structurelles significatives, telles que l’augmentation des coûts des matières premières, la dépendance énergétique et la faible valorisation des employés. La réunion entre les responsables et les représentants professionnels a permis de soulever ces défis ainsi que l’urgente nécessité d’un programme de mise à niveau visant à moderniser les unités de production et à standardiser les pratiques. Ce programme contractuel avec le gouvernement apparaît comme une solution prometteuse pour soutenir la pérennité et la compétitivité des boulangeries marocaines, en renforçant leur résilience face aux fluctuations économiques et en préservant un secteur clé de l’économie locale.
Pour mettre à niveau le secteur de la boulangerie au Maroc, plusieurs propositions peuvent être envisagées afin de répondre aux enjeux structurels et d’améliorer la compétitivité et la durabilité des boulangeries dans un marché fortement concurrentiel. Les actions d’intervention se résument comme suit :
Soutien financier et accès aux financements : mettre en place des lignes de crédit spécifiques ou des subventions pour soutenir les boulangeries, notamment les petites structures, pour l’acquisition d’équipements modernes conformes aux normes de qualité et d’hygiène. Il y a lieu également de faciliter l’accès à des financements publics ou privés pour la mise à niveau des équipements, la formation du personnel et le respect des normes sanitaires.
Régulation et encadrement des boulangeries informelles : renforcer les inspections pour la sensibilisation des boulangeries en vue d’amener celles qui opèrent dans l’informel à se conformer aux standards de qualité, d’hygiène et de sécurité.
Standardisation et certification de la qualité des produits : introduire un label de qualité ou une certification qui garantirait la conformité des boulangeries aux normes de qualité et d’hygiène, permettant ainsi aux établissements conformes de se distinguer dans le marché. Il y a lieu également d’encourager la standardisation des produits pour offrir une expérience plus homogène aux consommateurs et renforcer la satisfaction client.
Formation et valorisation des ressources humaines : mettre en place des programmes de formation professionnelle pour les boulangers et le personnel des boulangeries, axés sur les nouvelles techniques de production, la gestion d’entreprise et le respect des normes d’hygiène. Ces actions sont de nature à améliorer les conditions de travail et la rémunération dans le secteur pour réduire le turnover et garantir une qualité de service constante.
Optimisation de la consommation énergétique : encourager l’adoption de technologies et d’équipements économes en énergie pour réduire la dépendance à l’électricité, au gaz et au bois, notamment pour les petites structures plus vulnérables aux fluctuations des prix de l’énergie. Il y a lieu également d’explorer les opportunités d’énergies renouvelables et des programmes de subvention pour l’installation d’équipements moins énergivores.
Mettre en place un comité de suivi regroupant les représentants des boulangeries, les ministères concernés et les fédérations professionnelles pour assurer un suivi des initiatives de mise à niveau et évaluer les besoins en soutien financier, législatif, ou technique.
Ces mesures, intégrées dans une stratégie de mise à niveau concertée, qui n’exclue aucun intervenant (non exclusive), petit ou grand, pourraient significativement améliorer la résilience du secteur de la boulangerie au Maroc tout en consolidant sa contribution à l’économie et à l’emploi local.
[1] Hespress du 15 octobre 2024.
[2] https://www.mapnews.ma/ du 7 octobre 2024.
[3] MAP, Op. Cit.
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