Le professeur de Droit pénal à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB) et à l’École de maintien de paix Alioune Blondin Bèye nous livre ses impressions sur l’adoption, jeudi dernier, par le Conseil national de Transition ( CNT), du nouveau Code pénal et du nouveau Code de procédure pénale. Dr Boubacar Bocoum, également secrétaire général adjoint de l’Association malienne de Droit pénal (AMADP), aborde les changements majeurs intervenus dans l’arsenal judiciaire
L’Essor : Que vous inspirez le nouveau Code pénal et le nouveau Code de procédure pénale ?
Boubacar Bocoum : L’adoption du nouveau Code pénal et du nouveau Code de procédure pénale marque le début d’une nouvelle ère pour la justice au Mali. Plus de 60 ans après l’adoption du Code pénal et du Code de procédure pénale, le dispositif pénal se devait d’opérer sa mue. Il fallait véritablement aller au fond des choses. Pour l’heure, les deux textes sont à la hauteur de la démarche entreprise pour leur adoption.
Ces réformes ambitieuses sont le fruit d’un processus participatif et inclusif. Elles sollicitent notre avis pour répondre aux défis contemporains et restaurer la confiance des citoyens dans le système judiciaire. C’est une étape décisive pour garantir la paix sociale, la stabilité et la bonne gouvernance dans notre pays.
L’adoption de ces deux textes est significative. Ces réformes sont essentielles pour adapter le système judiciaire malien aux défis actuels et aux aspirations de la population. C’est une évolution majeure de paradigme dans la garantie des droits fondamentaux des citoyens. Les garanties procédurales sont indéniablement renforcées, à condition d’en faire une promotion réelle.
L’Essor : L’adoption de ces deux textes apporte-t-elle des avancées dans le système judiciaire malien ?
Boubacar Bocoum : L’adoption de ces nouveaux codes constitue une avancée majeure pour le Mali. Elle témoigne de la volonté des autorités de mettre en place un système judiciaire plus efficace et plus juste. Cependant, le succès de ces réformes dépendra de l’effectivité des textes adoptés et de la mobilisation de tous les acteurs concernés : pouvoirs publics, acteurs de la justice, société civile.
De ces deux lois, l’on peut retenir quelques avancées majeures. Si on ne s’attache qu’à l’aspect Droits de l’homme et respect des garanties procédurales. On peut noter l’institution d’un collège des libertés et des détentions : c’est une innovation majeure qui participera au renforcement de la protection de la présomption d’innocence et au désengorgement des maisons d’arrêt. Il s’agit là d’une mesure visant à banaliser moins le décernement des mandats de dépôt.
Il convient de retenir également l’institution du juge de l’application des peines. Une mesure permettant de renforcer la fonction de réinsertion sociale de la peine, en modulant les peines en fonction du comportement des personnes détenues. Une autre innovation, c’est l’instauration de mesures relatives à la protection du dénonciateur des experts et des témoins. Enfin, le recours à un mode alternatif à l’emprisonnement tel que le bracelet électronique, pourrait être une meilleure solution au problème de surpopulation carcérale.
L’Essor : En quoi les contenus de ces nouveaux codes sont en phase avec nos us et coutumes ?
Boubacar Bocoum : Les nouvelles dispositions des textes adoptés le jeudi 31 octobre 2024 ont pour objectif de fournir un cadre juridique renouvelé, mais adapté aux réalités maliennes. C’est dans cet ordre d’idée que la législation pénalise désormais l’homosexualité, incluant sa pratique, sa promotion et sa défense. Aucune sanction pénale n’était en vigueur jusqu’à présent dans notre pays en grande partie musulmane et où les valeurs traditionnelles restent fortes.
Enfin, le législateur accepte de changer de paradigme comme nous les propositions lors des rencontres scientifiques organisées à l’Université. Les régimes maliens de 1961 et 2001 s’étaient contentés de reconduire presque intégralement les textes coloniaux adoptés sous le règne du Monarque français, Napoléon Bonaparte, notamment le Code d’instruction criminelle de 1807 et le Code pénal de 1810.
«Depuis plus de 60 ans, ce sont ces textes qui régissent le Droit pénal et la procédure pénale au Mali. Une loi étant le reflet des aspirations d’une société donnée à un moment donné, il importe de relever qu’après plus d’un demi-siècle de mise en œuvre, nos codes sont devenus archaïques et rétrogrades».
C’est la raison pour laquelle, au-delà d’une énième réécriture de certains articles du code pénal et du code de procédure pénale, nous avons estimé qu’il fallait choisir des tendances endogènes pour une véritable refondation de la politique judiciaire.
L’Essor : Qu’est-ce qu’on peut retenir aujourd’hui comme changements majeurs dans le système judiciaire malien ?
Boubacar Bocoum : Les innovations se trouvant dans ce texte comportent, entre autres, l’harmonisation avec les dispositions de la nouvelle Constitution, l’agrégation des textes pénaux épars dans un seul et unique document, le renvoi à la Constitution pour la sanction de la haute trahison, la prise en compte de nouvelles infractions telles que la traite des personnes, l’esclavage, le trafic illicite de migrants, les infractions prévues par les actes uniformes de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada ) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). S’y ajoute l’incrimination de l’apologie du terrorisme et le recrutement des terroristes. Mais aussi, l’introduction du principe de la responsabilité pénale des personnes morales à l’exclusion de l’État et des Collectivités territoriales. Comme par exemple, les banques et assurances, les associations, mouvements et partis politiques, les Organisations non gouvernementales (ONG).
Autres nouveautés qu’on peut retenir, le renforcement des principes directeurs du procès pénal, l’institution du référé liberté qui permet de demander la remise en liberté à tout moment et à toute étape de la procédure, la suppression des cours d’assises au profit des chambres criminelles au niveau des tribunaux de grande instance pour ne pas confiner les audiences dans une périodicité.
Cela permettra d’assurer la bonne distribution de la justice et le désengorgement des maisons d’arrêt. Il est à signaler aussi l’instauration au niveau de chaque Cour d’appel d’une chambre des appels criminels pour connaître de l’appel interjeté contre les décisions des champs criminels des tribunaux de grande instance.
Entretien réalisé par
Namory KOUYATE