Monia Rizkallah, cheffe d’attaque à la Deutsch Oper Berlin: A la recherche d’une partition universelle

La musique est peut-être l’exemple unique de ce qu’aurait pu être le monde s’il n’y avait pas l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées, la communication des âmes. La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux. La musique exprime le non-dit, le […]

Monia Rizkallah, cheffe d’attaque à la Deutsch Oper Berlin: A la recherche d’une partition universelle
   aujourdhui.ma
La musique est peut-être l’exemple unique de ce qu’aurait pu être le monde s’il n’y avait pas l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées, la communication des âmes. La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux. La musique exprime le non-dit, le sens caché des êtres et des choses. Elle exprime leur essence. Et, souvent, elle en incarne la quintessence, cette cinquième essence, qui est la somme des quatre autres. La musique, c’est le Grand Œuvre. C’est l’Ars Magnus, dans son sens alchimique. C’est la musique des sphères. Le langage universel, celui du cosmos et de ce qui ne peut être défini ni appréhendé. C’est cette quête qu’a entreprise Monia Rizkallah, musicienne hors pair, qui officie à l’une des plus prestigieuses maisons philharmoniques, la Deutsch Oper Berlin. Au-delà de sa maîtrise de son instrument, le violon, ce qui nous touche dans l’approche artistique de Monia Rizkallah, c’est sa faculté de voyager à travers de multiples univers musicaux, toujours avec la même passion, le même engagement et la même rigueur. Elle a cette capacité d’habiter ses projets et d’extraire d’elle-même la musique qu’elle interprète (et non qu’elle joue). Car, il est ici question d’interprétation, d’une autre lecture, qui vient s’ajouter à celle du compositeur lui-même, sous la direction d’un maestro, un chef d’orchestre, qui apporte sa vision, ses tempos, sa perception de l’oeuvre à offrir aux aficionados. Dans cette approche, Monia Rizkallah donne un réel sens à cette affirmation de Friedrich Nietzsche disant que «La vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil». Une errance, sans territoire, sans patrie. C’est également dans cette acception de l’œuvre musicale que Monia Rizkallah nous révèle comment s’est écrite l’histoire de la musique, avec ses influences multiples et ses sinuosités, nourries de différentes cultures et traditions musicales dans le monde, comment les instruments s’interpénètrent, communiquent, dialoguent, se taisent, se confient et offrent, au final, le silence, qui, lui aussi, fait partie de la partition. À écouter Monia Rizkallah, comme c’est le cas durant cette rentrée à l’Opéra de Berlin, au contact de Richard Wagner et de son immortel Tristan et Isolde, on se rend compte que pour tout spécialiste, les difficultés de concilier expérience esthétique et faits objectifs sont à la source d’une longue tradition analytique sur la musique qui, ici, avec les tonalités du violon de Monia Rizkallah nous offrent une poésie du vivant, qui va au-delà de ce qui peut être exprimé autrement qu’en notes, en mélodies et en silences. Ce qui nous renvoie, avec jubilation, à cette autre vérité émise par le père de Zarathoustra : «Par la musique, les passions jouissent d’elles-mêmes». Sans oublier qu’avec Wagner, nous sommes dans les voisinages de Nietzsche, ami intime de la famille et surtout de Cosima Wagner, qui n’est autre que la fille d’un autre génie de la musique, Franz Liszt. C’est dire que les esprits qui président à la musique du monde ont des destinées à part, faisant croiser les époques et les mythes fondateurs de l’humanité. C’est cet univers qui est celui de Monia Rizkallah, un monde où les grandes tendances de la musique, de Ludwig Van Beethoven à Richard Wagner, de Johannes Bach, à Wolfgang Amadeus Mozart, en passant par Franz Schubert, Johannes Brahms ou encore Gustave Mahler, Piotr Tchaïkovski et d’autres grandes figures qui ont donné de nouvelles bases à la musique, sont décortiquées et remises au goût des jours, pour que vive cette musique savante, qui élève l’humain en nous, qui nous transcende et nous rend meilleurs. On comprend alors aisément toutes les influences d’une musique occidentale très attachée à des cultures à la fois nordiques, latines, celtes, anglo-saxonnes et germaniques. Ce sont ces interactions qui ont nourri des musiques aussi profondes que l’héritage slave que l’on touche dans le travail d’auteurs comme Modest Moussorgski, Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov ou encore Sergueï Sergueïevitch Prokofiev, sans oublier le grand apport italien à cette universalité, à travers les œuvres de Monteverdi, Giuseppe Verdi, Albinoni, Rossini, Puccini, Bellini et autres Vivaldi, pour ne citer qu’une goutte dans un océan de beauté que Monia Rizkallah nous offre en partage, à chaque fois qu’elle entre en fusion avec son violon et nous invite aux pérégrinations de l’âme dans de hautes sphères que seules les âmes bénies arrivent à percevoir. Sans oublier ceci : «Et ceux qui dansaient furent considérés comme fous par ceux qui ne pouvaient entendre la musique», nous rappelle celui qui a écrit le Gai Savoir. Car, la musique nous élève au-dessus des contingences de l’existence. Elle a le pouvoir secret de nous transporter au-delà des réalités de ce monde et d’imprimer à notre périple un voile de magie, une certaine alchimie qui transmute le vulgaire en beauté absolue. Et tout ce qui élève l’homme en nous mérite toute notre passion, nos égards et notre patience. Car un monde sans musique est un monde mort. C’est un monde de vide et de cruauté que seule la musique rend beau, viable, vivable, enchanteur comme Die Zauberflöt de ce génie qu’était Wolfgang Amadeus Mozart.