Outre sa contribution à la croissance nationale, le secteur halieutique renforce le poids du Maroc sur la scène internationale. En témoignent l’attachement de plusieurs pays européens au partenariat commercial avec le Royaume, malgré l’annulation des accords de pêche et les accords agricoles entre Rabat et l’UE.
Fort de quelque 3.500 km de côtes et une importante réserve de pélagiques, le secteur de la pêche maritime a toujours été une composante importante des différents plans gouvernementaux, de par son rôle pionner dans l’économie national. En plus de sa forte contribution à la sécurité alimentaire, la production halieutique contribue à hauteur de 2,3% au PIB, avec un chiffre d’affaires atteignant 28 milliards de dirhams en 2023, sans oublier les 700.000 emplois directs et indirects générés par le secteur. « Ces performances font du Maroc le premier producteur des produits halieutiques en Afrique et le 15e au niveau mondial», se félicite Hassan Sentissi El Idrissi, Président de la Fédération Nationale des Industries de Transformation et de Valorisation des Produits de la Pêche au Maroc (FENIP), donnant l’exemple des conserves de sardines marocaines qui se taillent 43 % du marché mondial. Un état des lieux qui fait grincer des dents comme en témoigne le très verdict controversé de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) annulant les accords de pêche et les accords agricoles entre le Maroc et l’Union Européenne (UE) en réponse aux plaintes du front Polisario. Un arrêt qui porte atteinte surtout aux pays européens où les dépenses des ménages en produits de la pêche et de l’aquaculture est en constante hausse. Pour le Royaume, le partenariat en soit, scellé en 1988, puis renouvelé et approfondi au fil des années, était plus à vocation diplomatique, permettant de consolider ses rapports avec son premier partenaire commercial en contrepartie d’un appui politique non assumé. Mais si Rabat ne profitait que peu desdits accords sur le plan économique, en recevant pas plus de 50 millions d’euros annuellement en plus de l’assistance technique pour le secteur halieutique, leurs enjeux politiques restent de taille. Car oui, le secteur halieutique positionne le Maroc comme un acteur actif dans les agendas mondiaux et régionaux et représente une partie prenante des initiatives régionales autour de l’économie bleue avec la Méditerranée, l’Union Européenne et le continent africain. « Les ressources maritimes du Royaume lui accordent un poids politique indéniable sur la scène internationale. Les critiques prononcées par les pays européens tels que la la France, la Belgique ou encore l’Espagne à l’égard de la Cour européenne en sont une preuve tangible », commente Abdellah Elamri, « security expert » et analyste de risques géopolitiques, précisant que ces grandes puissances continuent de soutenir Rabat au sein des instances internationales pour préserver des liens amicales avec le Maroc, qui sont très avantageuses sur le plan économique. Il est vrai que les vingt-sept ont plusieurs autres fournisseurs de produits maritimes, comme la Chine ou encore l’Équateur , sauf que les produits les plus diversifiés proviennent des côtes marocaines. La sardine et la farine de poisson représentant la plus grande partie du volume, mais la valeur des importations depuis le Maroc émane également du poulpe et du calmar. Côté coût de revient, l’exemple de la farine de poisson est saillant. En 2022, l’UE a importé 247.234 tonnes de farine de poisson, soit une valeur de 403 millions d’euros. Le prix moyen de ces importations s’est élevé à 1.603 EUR/tonne. Or, le prix le plus haut a été enregistré en Norvège (2.167 EUR/tonne) et celui le plus bas a été atteint au Maroc (1.469 EUR/tonne). Le manque à gagner relève donc de l’évidence et l’impact sur le consommateur européen est d’envergure. Malgré les bonnes performances, des réglages s’imposent ! Si au niveau du commerce international, les chiffres du secteur de la pêche sont louables, son empreinte socio-économique demeure, néanmoins, modeste au regard du potentiel halieutique marocain et aux opportunités qui s’offrent en termes de demande croissante en produits de la mer. C’est ainsi que le patron de la FENIP souligne l’impératif de repenser le modèle économique national pour ouvrir de nouveaux horizons au secteur. « Il faut tout d’abord une réforme de la commercialisation du poisson industriel dans le cadre d’un modèle purement marocain, innovant et performant, adapté aux spécificités de notre tissu industriel actuel», prône Hassan Sentissi, qui appelle à la la suppression définitive des intermédiaires parasitaires. Cette réforme devra concerner la maîtrise de toute la chaîne des flux financiers de toutes les chaînes de distribution de poisson en veillant strictement au respect de la chaîne de froid. Il s’attaque également aux difficultés de financement rencontrées par les opérateurs du secteur, qui interpellent à la mise en place de crédits maritimes adaptés. Ce dispositif financier servirait à encourager les investissements dans les technologies innovantes et durables, facilitant par la même occasion l’accès au capital de façon à rendre l’industrie nationale plus résiliente et compétitive. De telles mesures pourraient constituer de réels relais de croissance, de création d’emplois pour les jeunes et de réduction de la pauvreté et des inégalités territoriales.
3 questions à Jamil Ouazzani : «Il faut des assises pour dresser un état des lieux de l’économie bleue au Maroc»
Comment l’économie bleue peut-elle être un vecteur de développement économique, pour le tourisme par exemple ? Il y a beaucoup de paramètres qui ont changé dans le marché du tourisme. Les clients cibles aujourd’hui sont de plus en plus sensibles au tourisme durable. Il y a donc d’importants investissements qu’il faudrait faire pour répondre à cette nouvelle demande. Par exemple, le port de Tanger Ville a commencé à proposer ces dernières années des circuits de tourisme durable, qui sont très demandés par les croisiéristes, surtout de luxe. On arrive donc à augmenter le chiffre d’affaires et à accroître les marges de gain, avec peu de choses. C’est donc des circuits simples et faciles à reproduire. Comment peut-on davantage tirer profit des ressources halieutiques d’une manière soutenable ? La Méditerranée est une mer très polluée, ce qui menace gravement les ressources maritimes et aussi les sources de revenus du territoire national. Pour réduire le stress qui pèse sur la mer, il faut agir surtout sur le comportement de l’Homme. Par exemple, dans le cadre des campagnes de sensibilisation qu’on organise, on avait fait des labyrinthes sous-marins pour les enfants, et on demandait aux plongeurs de récupérer les déchets qui se trouvaient dans la mer. On trouvait des pneus, des bicyclettes, du plastique, etc. Pour prendre le cas des déchets plastiques, si en 2050, on continue encore à les utiliser de la même manière, dans les océans, on aurait plus de plastique que de poisson. Ce comportement tue ainsi tout l’écosystème marin. Il faut donc faire montre de vigilance pour pouvoir tirer profit des ressources maritimes de manière responsable. Au niveau du port, il y a des initiatives qui sont prises, notamment la mise en place des unités de valorisation des déchets, on prête attention au nombre de croisières accueillies par le port pour garantir des conditions de vie favorables à la faune marine et on va devenir pavillon bleu, ce qui impose plusieurs règles environnementales à respecter. Quelles sont vos recommandations en vue d’une stratégie nationale pour l’économie bleue ? Il faut tout d’abord organiser des assises pour dresser un état des lieux et discuter de ce qui doit être fait pour la promotion de l’économie bleue. Il y a donc un effort de communication à faire sur le sujet. Ensuite, il faut une conception claire de l’économie bleue. Il y a plusieurs définitions qu’il faudrait cadrer, car c’est ce qui va permettre d’élaborer des actions de sensibilisation ciblée et efficace, surtout auprès des jeunes et des enfants, qui sont les ambassadeurs de l’action écologique. De plus, il faut que la sensibilisation devienne partie intégrante des programmes scolaires au niveau de tout le territoire. Et finalement, il faut une coordination entre toutes les parties concernées du secteur pour éviter les chevauchements au niveau des décisions et des actions.