« J’ai dressé le portrait d’un sentiment de l’exil. »

Entretien avec le réalisateur franco-marocain, Saïd Hamich Benlarbi : Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef « La mer au loin » de Saïd Hamich Benlarbi est un film sur l’exil, l’exil intérieur, le déracinement, le déplacement et la quête de soi. Ce mélodrame projeté dans le cadre de la compétition de la 21ème édition du festival international du... L’article « J’ai dressé le portrait d’un sentiment de l’exil. » est apparu en premier sur ALBAYANE.

« J’ai dressé le portrait d’un sentiment de l’exil. »
   press.ma
Entretien avec le réalisateur franco-marocain, Saïd Hamich Benlarbi : Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef « La mer au loin » de Saïd Hamich Benlarbi est un film sur l’exil, l’exil intérieur, le déracinement, le déplacement et la quête de soi. Ce mélodrame projeté dans le cadre de la compétition de la 21ème édition du festival international du film de Marrakech a créé un émoi. Cette œuvre cinématographique tourne autour de l’identité, de l’altérité, mais aussi de la mélancolie. Dans « La mer au loin », le réalisateur nous plonge non seulement dans la misère des immigrés clandestins, mais aussi et surtout dans les tréfonds de leurs vies intérieures et ontologiques à travers une lumière contrastée et des plans rapprochés, parfois serrés. Entretien. Al Bayane : Dans votre film, il y a une part importante de l’exil, de l’exil intérieur, si n’osons dire. On y trouve aussi des personnages ordinaires, mais singuliers qui portent cette lourde tâche du monde, de l’existence.  Pourquoi ce thème ? Saïd Hamich Benlarbi :   Vous avez raison, moi j’ai quitté le Maroc à 11 ans, j’ai grandi en France, j’y ai vécu… L’exil, avec le temps, c’est quelque chose qui vous habite, qui vous hante, quelque chose qui s’imprègne en vous ; ça devient vous et en même temps ça crée une distance aux choses, comme si vous n’êtes pas vraiment à votre place partout où vous allez. Or, ce qui m’intéressait justement c’est de dire voilà je vais dresser le portrait d’un homme et de l’exil d’un homme, mais d’un point de vue émotionnel parce que j’en avais un peu marre dans le cinéma que les immigrés en France, par exemple, soient traités que par le prisme des problématiques sociétales comme s’ils n’ont pas de sentiments, ils sont juste des archétypes d’action. J’ai dressé le portrait d’un sentiment de l’exil.  Je ne suis pas un sociologue, je ne suis pas un historien, mais juste je me dis que je vais essayer de retranscrire cette émotion que j’ai en moi de d’être exilé. Pourtant, il y a dans cette mélancolie et saudade de l’exil et de l’exilé ; une espèce de poésie dans la manière de filmer les personnages, de suivre leurs vies de bout en bout. Dans les quelques films que j’ai faits, il y a quelque chose que j’aime beaucoup faire, c’est d’aimer les personnages, d’être pudique et respectueux avec eux. Donc, j’ai envie de bien les traiter.  C’est ce qui est beau dans le mélodrame parce que le film est un mélodrame sur l’exil, c’est que les gens ont le temps d’exprimer ce qu’ils ont dans le cœur ; ils disent ce qu’ils expriment, ce qu’ils ressentent. Et j’aime bien ça dans les films !    « La mer au loin », le mal de mer, notamment quand on voit cette séquence de « Nour » sur le bateau en retournant à sa ville natale, Oujda. Que veulent dire ces notions d’horizons, d’immensités, de sentiments et de réflexions insalissables dans le film ?  Au début quand j’écrivais ce film, je trouvais que «la mer au loin » exprime bien ce que c’est que l’exil, c’est quelque chose d’immense, d’infini qui est tout le temps-là, mais en même temps insaisissable.  C’est cette notion d’horizon, de quelque chose qui t’entoure, qui est impalpable, et que tu ne peux pas saisir. Quand vous vivez à Marseille, en France, la Méditerranée, c’est très important. Et moi quand j’ai quitté le Maroc, je l’ai quitté en bateau. Donc c’était quelque chose qui était important pour moi de signifier cette présence-là par le titre du film. Sur le plan esthétique, ça se voit que vous êtes visiblement influencés par des mélodrames classiques !  J’aime beaucoup les mélodrames classiques de Sirk Douglas : « Tout ce que le ciel permet », entre autres.  Donc j’aimais bien aussi cette filiation de titre avec « Loin du paradis » de Todd Haynes. C’est un peu ma touche et je mets «la mer au loin ». L’histoire se déroule à Marseille. En fait, on a l’impression que le film est maghrébin qui parle de tous ces immigrés du Maghreb qui partagent presque les mêmes défis et difficultés. Qu’en pensez-vous ? Pour moi, c’est un film qui se passe beaucoup à Marseille. Donc, c’est déjà un film aussi français sur une partie de population qui est parfois stigmatisée. À Marseille en France vous êtes surtout un arabe, un Maghrébins c’est-à-dire qu’ils ne font pas la différence. Pour moi, j’aimais bien la fraternité dans l’exil c’est-à-dire on est tous dans le même bateau quand on est immigré clandestin. Mon père était ouvrier agricole, et des fois il travaillait avec 20 nationalités différentes dans les champs, dans les vignes. Ils étaient 24 nationalités qui faisaient les vendanges. La musique, notamment le Raï des années 90 était un personnage à part entière dans l’œuvre cinématographique. Parlez-nous un peu de ce choix qui était réussi dans le film ?  Moi j’adore le raï. En 1997, quand je suis arrivé à en France, mes grands frères écoutaient du Raï du matin jusqu’au soir, même en travaillant comme dans le film et ils écoutaient, ils écoutaient, ils écoutaient. Donc j’ai grandi avec le Raï. J’aime bien ce genre musical, surtout le Raï sentimental parce que c’est quelque chose à la fois très mélancolique, mais en temps festif. On se plonge dedans et j’aimais bien parce que le Raï donnait une bonne coloration au film sur la mélancolie et le sens de la fête…Le reste a été très important, de l’écriture jusqu’à la fin du film. Je n’ai pas fait un film sur le Raï, mais avec le Raï. Il y a probablement un côté romanesque dans l’écriture qui se voit dans le film. Pourriez-vous en dire plus ? Oui, au début quand je me suis dit que l’exil n’est pas l’immigration, mais l’exil c’est la construction personnelle. Donc j’avais besoin de temps long parce que l’exil c’est le temps long, et je me suis dit : ‘’comment raconterais-je le temps long’’ ?  Donc j’ai eu une envie de faire de cette fresque romanesque. Il y a un roman que j’aime beaucoup qui s’appelle « l’éducation sentimentale » de Flaubert, un classique de la littérature française, et j’aimais bien aussi de ce que ça donne c’est-à-dire qu’on est plus sur ce que vivent les personnages, qui traversent l’histoire, des gens simples.  C’est pour ça j’ai essayé de faire cette écriture romanesque, et c’est pour cette raison j’ai gardé les chapitres :  introduction, épilogue, chapitre un, chapitre deux. J’ai bien aimé cette filiation romanesque et littéraire de l’écriture.  Le personnage « Nour » était un personnage qui n’est pas facile, insaisissable pour ne pas dire complexe. Il était dans cette quête de soi, une quête existentielle qui ne retrouve pas en cherchant dans ses relations ; sa relation avec sa mère et dans cette altérité recherchée. L’exil, c’est une quête impossible. Moi ce que j’essaie de dire à travers le film, c’est de montrer l’exil non pour de trouver la solution, mais de dire que vous n’êtes jamais à votre place.  Vous pouvez vivre en France, des années, mais vous n’êtes jamais vraiment à votre place, car ils vous manquent toujours quelque chose. Et bien même quand « Nour » revient à Oujdace qu’il a laissé ; sa mère et tout ça, ce n’est plus la même relation qu’avant. Donc, il y a quelque chose qui est brisé en vous. Et ce que j’essaye de montrer, c’est qu’à un moment il faut accepter son sort. Ce n’est pas forcément être résigné, accepter son sort c’est dire la vie peut être dure, mais on a le choix de vivre avec les gens qui nous aiment et les gens qu’on aime. C’est ça au final, il faut être dans une relation de joie avec les gens, il faut donner et accepter aussi de recevoir. Mais, la quête en soi de quelque chose qui va compenser ça, non je n’en voulais pas, en tout cas pour moi, c’est impossible. Pour saisir la mélancolie et les émotions des personnages vous avez opté pour une lumière contrastée, des plans parfois rapprochés pour nous plonger dans leurs vies intérieures. Tout y est dans les regards des protagonistes. Qu’en dites-vous ?    Oui, on a beaucoup travaillé sur le regard Ayoub Gretaa, il a beaucoup joué avec le regard. C’est très difficile à faire parce qu’il faut vraiment être sensible et essayer d’être poreux à ce que dégagent les autres comédiens. Avec Tom Harari, le chef opérateur, on a utilisé le contraste qui est un peu le mélodrame classique, on a un peu puisé ces trucs-là, et puis on a essayé d’être assez doux et assez proche des personnages. Je n’avais pas envie d’être dur, de maltraiter les personnes même leur vie elle est dure, mais le film il n’est pas dur avec eux. On avait toujours voulu faire des mouvements proches d’eux, d’être assez proches, de les accompagner, d’être dans la douceur. Malgré la dureté de la vie, le film est assez doux.  Accrcoches : « J’avais un peu marre dans le cinéma que les immigrés en France soient traités que par des problématiques sociétales. » « Dans les quelques films que j’ai faits, il y a quelque chose que j’aime beaucoup faire, c’est d’aimer les personnages, être pudique et respectueux avec eux. » « On a essayé d’être assez doux et assez proche des personnages. Je n’avais pas envie d’être dur, de maltraiter les personnes même leur vie elle est dure, mais le film il n’est pas dur avec eux. » « Je n’ai pas fait un film sur le Rai, mais avec le Rai. » « L’exil, avec le temps, c’est quelque chose qui vous habite, qui vous hante, quelque chose qui s’imprègne en vous ; ça devient vous et même temps ça crée une distance aux choses. » L’article « J’ai dressé le portrait d’un sentiment de l’exil. » est apparu en premier sur ALBAYANE.