Reportage - Pastèque noire : Ce goût succulent qui se fait rare

Réputée pour être la vedette estivale de la table marocaine, la célèbre pastèque noire se fait rare sur les étals. Sa disparition progressive résulte de divers facteurs, allant des défis climatiques à l’introduction de nouvelles variétés, laissant ainsi place à une nostalgie palpable chez les consommateurs. Considérée comme la quintessence de l’été sur les tables marocaines, la pastèque noire, aussi connue sous les noms de « Dellah Beldi » ou « Salbani », a progressivement disparu des marchés. Son écorce vert foncé et sa chair rougeorangé, ferme et sucrée, restent gravées dans la mémoire des plus anciens. À cette époque, les carrousels des marchands ambulants et les étals des marchés étaient alors généreusement garnis de ces fruits pendant l’été. Aujourd’hui, cette époque semble révolue.   Nostalgie du bon vieux temps Il est 20h, ce samedi 31 août 2024, quelque part à Rabat. Dans les ruelles animées du quartier périphérique de Takaddoum, à proxim

Reportage - Pastèque noire : Ce goût succulent qui se fait rare
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Réputée pour être la vedette estivale de la table marocaine, la célèbre pastèque noire se fait rare sur les étals. Sa disparition progressive résulte de divers facteurs, allant des défis climatiques à l’introduction de nouvelles variétés, laissant ainsi place à une nostalgie palpable chez les consommateurs. Considérée comme la quintessence de l’été sur les tables marocaines, la pastèque noire, aussi connue sous les noms de « Dellah Beldi » ou « Salbani », a progressivement disparu des marchés. Son écorce vert foncé et sa chair rougeorangé, ferme et sucrée, restent gravées dans la mémoire des plus anciens. À cette époque, les carrousels des marchands ambulants et les étals des marchés étaient alors généreusement garnis de ces fruits pendant l’été. Aujourd’hui, cette époque semble révolue.   Nostalgie du bon vieux temps Il est 20h, ce samedi 31 août 2024, quelque part à Rabat. Dans les ruelles animées du quartier périphérique de Takaddoum, à proximité de la mosquée Oum Kaltoum, la brise du soir apporte un peu de répit à la chaleur étouffante de l’été. Les habitants, en quête de fraîcheur, se rassemblent pour profiter de cette rare respiration d’air frais. Dans cette quête de soulagement, rien n’égale la douceur d’une pastèque bien sucrée et rafraîchissante, un fruit succulent qui offre une évasion bienvenue de la chaleur. « Quelle merveille ! Cette pastèque est absolument délicieuse ! », s’exclame un client ravi après d’avoir savouré une bouchée offerte par le commerçant. Les autres amateurs se pressent en demandant : « chehal had delaha lkbira ? », (quel est le prix de cette grande pastèque ?), tout en pointant du doigt les pastèques greffées, la seule variété qui fait le tour des marchés. Ces fruits sont soigneusement empilés dans un décor familier. L’un d’eux, fendu en deux, révèle une chair rouge éclatante qui capte irrésistiblement l’attention des passants. Omar, commerçant, se montre surpris et nostalgique lorsqu’on l’interroge sur la disponibilité de la pastèque noire. Secouant la tête avec regret, il explique que cela fait des années qu’il en trouve de moins en moins, en raison de sa rareté croissante couplée aux défis posés par la crise hydrique. « Je me souviens encore de son goût exceptionnellement sucré et intense. Malheureusement, elle est devenue rare et la demande a chuté tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cette année, la récolte est minuscule, même pour les pastèques greffées, et les prix ont considérablement grimpé ». Les pastèques greffées ont également souffert des effets de la sécheresse, entraînant une augmentation notable des prix, atteignant jusqu’à 7 DH le kilo. Mohamed Elouafi, pépiniériste, souligne que cette année, les pastèques sont particulièrement rares : « Autrefois, les agriculteurs pouvaient écouler jusqu’à 20 hectares de pastèques, mais cette année, nous constatons une réduction significative de la production », explique-t-il.   Climat et crise frappent A ce stade, les commerçants et même certains consommateurs se demandent sur les causes derrière la disparition mystérieuse de la pastèque noire alors qu’elle était vedette des rayons. En réalité, cette disparition est le résultat d’une combinaison complexe de facteurs liés à l’agriculture, au climat et aux dynamiques économiques.  Selon Mehdi Bassou, ingénieur en génie rural à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II : « La pastèque noire marocaine devient de plus en plus rare en raison de l’introduction de variétés hybrides, comme les pastèques greffées, qui sont plus productives et résistantes. Cette transition a détourné les producteurs de la pastèque noire ».  Mais pas seulement. Les défis climatiques, tels que la diminution des ressources en eau et les températures croissantes, compliquent sa culture et la rendent moins rentable, de par sa nature très gourmande en eau. Les nouvelles techniques d’irrigation, bien qu’efficaces, ne sont pas toujours adaptées à cette variété spécifique, qui demande des soins particuliers. En conséquence, les agriculteurs se tournent de plus en plus vers des variétés de pastèques à croissance plus rapide et à rendement plus élevé, délaissant ainsi la pastèque noire, ajoute-t-il. Certains experts précisent que la couleur sombre du fruit lui permet d’absorber davantage de soleil, ce qui augmente ses besoins en eau par rapport aux autres variétés. De plus, la perte du savoir-faire traditionnel contribue à cette raréfaction silencieuse. Les commerçants, quant à eux, attribuent la diminution de la demande pour la pastèque noire à sa taille moyenne inférieure à celle des variétés greffées, moins adaptées aux besoins des familles marocaines nombreuses. Ainsi, les pastèques plus grandes, capables de satisfaire plus de membres, sont préférées, rendant les variétés traditionnelles de moins en moins recherchées. Pour Mehdi Bassou, le retour de la pastèque noire sur le marché marocain reste possible, mais il nécessite plusieurs conditions. Il faut d’abord une forte demande des consommateurs pour les saveurs ancestrales et des initiatives pour promouvoir ses qualités uniques. Les agriculteurs doivent relancer sa culture de manière écologique, soutenue par un marketing efficace pour raviver cet espoir perdu. 3 questions à Kamal Aberkani, Professeur en Sciences Agronomiques : «Les variétés hybrides sont favorisées pour leur résistance aux maladies» La pastèque noire est devenue de plus en plus rare sur le marché national, suscitant des questionnements chez le consommateur. Comment expliquez-vous la raréfaction de ce fruit sur le marché marocain ? Cette variété de pastèque est devenue de plus en plus rare depuis 2010-2011, avec l’émergence de variétés plus productives offrant un meilleur rendement et une meilleure adaptation aux conditions climatiques. Les pastèques de 15 à 20 kilos ont gagné en popularité par rapport aux plus petites variétés de moins de 12 kilos. De plus, les variétés hybrides, souvent greffées, sont favorisées pour leur résistance aux maladies et leur rentabilité économique. En conséquence, les producteurs ont progressivement abandonné cette variété traditionnelle, négligeant ainsi la conservation des semences et de la banque génétique pour l’avenir.   Comment les pratiques agricoles actuelles et les conditions climatiques au Maroc influencent-elles sa production ? Les surfaces cultivées en pastèques ont considérablement diminué au Maroc en raison des années de sécheresse successives. Les producteurs privilégient désormais les variétés hybrides et greffées, qui, bien que nécessitant un apport en eau similaire ou plus important, offrent un rendement supérieur et une rentabilité accrue. La rareté des semences et le manque de banque génétique pour cette variété traditionnelle, combinés à ses exigences climatiques spécifiques, compliquent sa multiplication et limitent ses zones de culture.   Que recommandez- vous pour préserver et revitaliser la culture de cette pastèque ? Y a-t-il des recherches ou des études scientifiques en cours sur les caractéristiques agronomiques de ce fruit qui pourraient aider à améliorer sa production ? Le Maroc a lancé un programme national pour créer une banque génétique afin de préserver ses ressources végétales et répondre aux besoins en variétés hybrides à rendement élevé. Cependant, la conservation des variétés traditionnelles « Beldia » a été insuffisante. Bien que la banque de gènes récemment inaugurée par l’Institut National de Recherche Agronomique soit un progrès, des efforts accrus sont nécessaires pour améliorer le rendement, la qualité et la tolérance des cultures aux maladies et à la sécheresse.